Léonard VS Michel-Ange


L’anecdote est célèbre, un biographe anonyme du Vinci  nous la conte : Un jour que Léonard, accompagné de G. de Gavina, passait auprès du banc des Spini, à côté de l'église Santa Trinita, quelques notables y étaient réunis et discutaient sur un passage du Dante. Apercevant Léonard, ils le prièrent d'approcher et de leur en donner l'explication. Au même moment, Michel-Ange [dont l’érudite connaissance du poète est proverbiale] vint à passer ; on l'appela et Léonard dit :  Michel- Ange va vous l'expliquer . Michel-Ange crut qu'il voulait se moquer de lui et répondit : Explique-le toi-même, toi qui as fait le modèle d'un cheval et, incapable de le fondre, as laissé honteusement ton ouvrage. Cela dit, il tourna le dos et s'éloigna en ajoutant pour l’offenser : Et qui t'étais confié par ces capons de Milanais.
Pourquoi une telle réaction du jeune sculpteur dont le David va bientôt lui conféré un statut équivalent au peintre de la Cène ?

Ignorance ? En partie.  Léonard ne part pas pour Milan de gaité de coeur.  La responsabilité de Laurent le Magnifique dans cet exil vers une puissance alliée ou ennemie, selon les circonstances, reste à évaluer. L’artiste, le mot existe n’existe pas à l’époque, est un pion dans un jeu diplomatique complexe. Quand il s’agit de décorer les murs de la chapelle Sixtine, la cité du lys dépêche ses meilleurs peintres, Botticelli en tête. Le Vinci chez les capons milanais, c’est aussi un ambassadeur de choix, comme Verrocchio, son mentor, à Venise. 
Si Léonard n’entreprend pas la fonte de son groupe équestre monumental à la gloire des Sforza, on ne peut le lui reprocher. Le bronze alloué prend le chemin d’une fonderie de canons pour équiper les armées des Este.  Ferrare et le reste de l’Italie  proies des plus grandes puissances européennes s’arment.

Jalousie ? Peut-être. Un physique séduisant, un port élégant  voire altier, une mise soignée, une conversation agréable, voici un portrait du Vinci aux antipodes du jeune-homme au nez brisé, à l’hygiène rebutante, négligé et peu amène au premier abord.
Michel-Ange aspire à la gloire dont Florence nimbe le Vinci. Pas  encore « divin », l’impétuosité habite Buonarroti, puissant moteur laissant de côté le discernement.

Souffrance ? Oui.  Le bonheur semble inaccessible à l’auteur des Rime. Orphelin, son père le brutalise. Les coups, les humiliations, le viol règnent aussi au sein de l’atelier d’un Ghirlandaio, d’un Verrocchio (celui du Vinci). L’épanouissement de l’apprenti, on s’en fout. S’il trouve refuge auprès de   Laurent de Médicis,  de Bertoldo dans le jardin de San Marco, ces havres de paix et de félicité se ferment quand à la mort du Magnifique, Pierre, le fils aîné, prend les rênes du principat. 
Quelque mois plus tard et quelque soit le camp choisi, la période savonarolienne s’avère délicate, difficile à vivre. Son épilogue, sûrement pas celle souhaitée par Michel-Ange, laisse des traces, des meurtrissures. 
Il faut attendre la nomination du gonfalonier à vie Soderini , à vie, pour retrouver une certaine quiétude, une oreille attentive, un oeil sensible au talent du jeune  sculpteur.  La tyrannie d’un More ne souffre pas d’une comparaison avec les régimes successifs florentins. 

Peur ? Pourquoi pas. Une concurrence rude sévit les bords de l’Arne. Brunelleschi, le sait mieux que personne. Evincé par Ghiberti pour les portes du Baptistère, le concepteur du Dôme de Santa Maria del Fiore en est quitte pour changer de métier et  un long séjour à Rome pour retrouver confiance en lui. 
Le  retour de l’auteur de la Vierge aux rochers dans le nid du maître de la pierre vive fait planer une menace. Un candidat incontournable s’érige pour les concours à venir sous la férule de la Seigneurie, des arts majeurs, les commandes de l’Église, des ordres religieux. La  cupidité naissante du natif de Caprese risque d’en pâtir .  

Le mépris ? À explorer.
Si une fibre patriotique habite M-A on ne peut en dire autant, quoique, pour Léonard. Aussi, quand les armées de César Borgia, menacent les murs de Florence, le patriote peut à juste droit s’ offusquer des services rendus par l’ingénieur au Prince de Machiavel. Cette « trahison » reste conforme aux règles de l’époque.  La fidélité des alliances, les positions intransigeantes et immuables : des valeurs sans valeur. 
L’artiste est un bouchon voguant aux gré des courants, des opportunités. Michel-Ange en fera lui-même l’expérience un peu plus tard.
Dans le Paragone, Léonard revendique pour le peintre un statut supérieur à celui des autres plasticiens, musiciens et autres écrivains. La sculpture rabaissée au niveau des arts mécaniques, les plus vils, irrite Michelangelo, ne prisant guère pour sa part la peinture... pour le moment. La mauvaise foi dans ce débat n’arrange rien et  le plus jeune n’attend qu’une occasion pour administrer une leçon au vieux « lion- leon ». 
La Seigneurie répondra à son désir, le motif : une bataille, la technique : la fresque, discipline  suprême de la peinture.



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